["Jeunes", " Père Benoist de Sinety sur l'afflux de nouveaux croyants : « On devenait un figuier stérile, et les fruits arrivent »"]

Le Père Benoist de Sinety est curé de la paroisse Saint-Eubert, à Lille Centre. Il analyse pour FC les ressorts de l’afflux de nouveaux croyants, et les défis que cela représente pour l’Église.


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Père Benoist de Sinety sur l'afflux de nouveaux croyants : « On devenait un figuier stérile, et les fruits arrivent »

Le Père Benoist de Sinety est curé de la paroisse Saint-Eubert, à Lille Centre. Il analyse pour FC les ressorts de l’afflux de nouveaux croyants, et les défis que cela représente pour l’Église.

Il analyse pour FC les ressorts de l’afflux de nouveaux croyants, et les défis que cela représente pour l’Église

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Entretien On a observé un afflux de nouvelles personnes au mercredi des Cendres. Ce phénomène s’est-il poursuivi depuis selon vous ?

Oui, dans le sens où la population à la messe dominicale a sensiblement augmenté depuis le début du Carême, avec des effets de gros gonflements pour les Rameaux et le jour de Pâques. C’était assez spectaculaire. Cette année, de nombreuses paroisses à travers la France ont connu une affluence exceptionnelle, attirant un public varié, dont une présence remarquée de jeunes souvent éloignés de l’Église.

Cette affluence s’est-elle ensuite transformée en demande de sacrements ?

Dès les messes du mercredi des Cendres, en repérant qu’il y avait beaucoup plus de monde que d’habitude, notamment des jeunes, j’ai dit aux personnes qui étaient là que si elles souhaitaient réfléchir au baptême, à la première communion ou à la confirmation, il fallait venir me voir. Douze jeunes sont venus entamer une démarche.

Ces jeunes sont en demande de sacrements, mais aussi de catéchèse, pour comprendre la foi. Ce qui m’avait frappé au mercredi des Cendres, c’est d’entendre certains sur le parvis de l’église me dire : « Bon, nous, on veut faire le Carême. C’est quoi les règles pour le jeûne ? » On voit bien qu’ils sont très influencés par leurs amis musulmans, avec qui ils ont parlé du Ramadan et qui, sans doute, les ont poussés, directement ou indirectement, à s’interroger eux sur ce qu’ils étaient. * On a beaucoup parlé de l’influence des réseaux sociaux. Diriez-vous que c’est la première explication de ce phénomène ?*

Au-delà de ce qui s’est passé pendant le Carême, j’observe, depuis plusieurs années, que ceux qui sont en quête de Dieu, avant de se présenter dans la paroisse, cherchent des informations. Or, comme ils n’ont pas beaucoup de chrétiens autour d’eux, ils les trouvent sur Internet. Ils vont sur YouTube, où ils trouvent le meilleur… comme le pire. Les influenceurs chrétiens jouent un rôle majeur ; c’est eux que regardent les jeunes. Ce qui est frappant, c’est que pendant le Carême, cette année, on parlait tous les jours à la radio de l’affaire Bétharram ; mais ça n’intéresse pas ces jeunes ! Les algorithmes de leur smartphone ne leur en parlent pas. Voit-on arriver dans l’Église une nouvelle sociologie ?

Ceux qui se sont présentés sont les jeunes du « pays réel ». Ce n’est pas la jeunesse catho classique, urbaine, BCBG. C’est une jeunesse à l’image de celle qu’on croise dans la rue. Vous avez des jeunes avec des piercings, des cheveux verts, et souvent sans aucune culture chrétienne. Pendant la messe, à la communion, je propose de les bénir, bras croisés sur la poitrine, et ils me disent après : « Merci beaucoup, monsieur ! » Ils ne sont pas du tout dans le moule, ils ne savent pas parler le langage catho. C’est quelque chose d’assez nouveau.

Voyez-vous un lien entre les initiatives d’évangélisation et l’afflux de nouveaux croyants ?

Je ne vois pas de lien direct, puisque ces jeunes-là ne viennent pas parce qu’ils ont participé à un événement, ou parce qu’ils ont rencontré dans la rue des personnes qui leur ont parlé du Bon Dieu. Ils viennent parce qu’ils ont un intérêt pour la question. En revanche, je pense que la parole du pape François sur les périphéries et l’ouverture a fini par être connue. Ils sont assez confiants sur notre capacité à pouvoir les accueillir. Ces jeunes viennent-ils chercher une dimension spirituelle, surnaturelle, ou une radicalité de vie ?

Un peu de tout ça. Une radicalité, c’est sûr, car c’est le propre de la jeunesse. Ils demandent de la règle. Par ailleurs, ils cherchent une espérance, parce qu’ils ressentent, sans doute plus que les générations précédentes, une situation de grande fragilité, avec des problèmes psychologiques, de dépression, d’angoisse.

La question de Dieu, ils n’ont pas vraiment les mots pour la formuler. Je pense à ce passage dans l’Évangile selon saint Jean, lorsque les juifs de langue grecque à Jérusalem, après les Rameaux, disent : « Nous voudrions voir Jésus. » Ils ne savent pas très bien pourquoi, mais ils sentent que c’est important. Ces jeunes ne parlent pas la langue du clan, ils n’ont pas notre culture, mais ils appartiennent au même peuple et ils veulent voir Jésus.

Comment « fidéliser » ces nouveaux arrivants ?

Ces nouveaux arrivants, on ne va pas les « acheter », les séduire ! L’enjeu, c’est de leur faire rencontrer le Christ. Tant qu’ils ne L’ont pas rencontré de manière personnelle et que cela n’a pas marqué leur vie, leur attachement à l’Église restera extrê­mement volatil.

Il faut aussi se décrisper sur le côté « trouvons la martingale pour les faire venir ». Ces jeunes ne viennent pas parce qu’ils veulent trouver tel type de liturgie ou tel type de prêtre. Ils ne savent pas où ils mettent les pieds ! Ils voient une église, ils entrent. Les jeunes d’aujourd’hui cherchent, et ils se rendent dans les bâtiments qui sont identifiés à leur sphère culturelle.

Nous devons également accepter de ne pas les formater à notre image. Il ne s’agit pas de faire de nos néophytes des clones de ce que nous sommes, parce que ça les fera fuir. C’est important d’essayer de comprendre, en parlant avec eux, ce qu’ils attendent d’une communauté chrétienne, pour réfléchir à la transformation que cela va susciter pour nous. * Ce phénomène pose-t-il des questions pastorales, voire doctrinales, avec des personnes vivant des situations très diverses ?*

D’un point de vue doctrinal, cela représente un défi. L’ensei­gnement du pape François peut nous apporter beaucoup, lorsqu’il disait que l’Église est un « hôpital de campagne », et qu’il faut pouvoir accueillir sans d’abord demander des papiers, comme si nous étions des douaniers des sacrements. Ceci n’est pas le relâchement de la doctrine, mais c’est l’accueil inconditionnel. Il ne s’agit pas, par exemple, de dire aux gens : « Vous ne rentrerez chez nous que si vous avez mis en ordre votre vie privée. » Acceptons, nous, pasteurs, chrétiens engagés, responsables, de nous laisser bousculer par cette réalité.

Sur le plan pastoral, il faut que nos communautés apprennent ce qu’est vraiment l’accueil. L’accueil, c’est : « Je te reçois tel que tu es et, ensemble, nous reconnaissons que nous avons à nous laisser transformer par le Christ. »

Si l’on prend du recul, avez-vous le sentiment qu’il se passe quelque chose en 2025 en France ? Cela ne pourrait-il être qu’un feu de paille ?

Immédiatement, je serais prudent, parce qu’on a si souvent, depuis cinquante ans, crié à la nouvelle Pentecôte, qu’à force on finit par ne plus savoir. Pour moi, cependant, l’affaire est sérieuse, car nous n’y sommes pour rien ! Si c’était le résultat d’un travail pastoral acharné, je serais un peu dubitatif, en me disant : « Ça va passer comme les autres fois. » Là, c’est l’expression totalement gratuite de la miséricorde de Dieu. À un moment où l’Église de France est vraiment à terre, sur le plan des vocations, sur le plan de sa réputation et de sa crédibilité, à ce moment précis, surgit un printemps incroyable, une espèce de renouveau, de bourgeonnement. On devenait un figuier stérile et la miséricorde de Dieu fait qu’on n’a pas été arraché, qu’on a attendu une saison de plus et que les fruits arrivent.

Propos recueillis par Cyril Douillet pour FAMILLE CHRETIENNE


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