
20ème anniversaire de sa mort : Jean-Paul II, portrait intime
Retour sur l’homme de Dieu qu’il fut à travers souvenirs personnels et fioretti rapportés par ses proches, qui dessinent un portrait intime de Karol Wojtyla.
À Wadowice, sa ville natale, Karol Wojtyla est très bon élève à l’école, capable de pleurer s’il n’a pas eu une bonne note. Un jour, au catéchisme, il rend une copie moyenne, alors que ses camarades de classe ont obtenu d’excellentes notes. Ils ont triché. Lui a refusé. Vexé, il se met la tête dans ses mains. Ses amis se moquent alors gentiment de lui: « Allez, c’est pas si grave, tu ne voulais pas devenir pape, quand même (1) ? »
(1) Jean-Paul II. Santo Subito, par Pierre Amar, Parole et Silence.
Nous sommes en 1958. Karol, déjà prêtre, fait de la randonnée avec des jeunes. Il doit écourter une sortie en canoë, appelé par le primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszyński. Celui-ci lui annonce que Paul VI le nomme évêque auxiliaire de Cracovie. « “Éminence, je suis trop jeune, j’ai à peine 38 ans !”, raconte Jean-Paul II dans ses souvenirs. Mais le primat répliqua :“C’est une faiblesse dont vous vous libérerez bien vite ! Je vous prie de ne pas vous opposer à la volonté du Saint-Père.” Je dis alors un seul mot : “J’accepte.”» Le jeune promu doit se présenter à son évêque, Mgr Eugeniusz Baziak, pour lui remettre la lettre du cardinal. Karol Wojtyla raconte : « Il me prit par le bras et me conduisit dans le salon d’attente, où quelques prêtres étaient assis ; il s’exclama alors : “Habemus papam !” À la lumière des événements qui ont suivi, on pourrait dire que ce furent des paroles prophétiques (2).” »
(2) Levez-vous ! Allons !, par Jean-Paul II, Plon-Mame.
Le 14 octobre 1978 débute le conclave qui conduira à l’élection de Karol Wojtyla. Juste avant de franchir la porte de la chapelle Sixtine, un photographe du Times prend en photo les différents cardinaux. Il s’approche du Polonais qui lui répond : « Pas moi, c’est inutile (3) ! »
(3) Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, dir. Christophe Dickès, Robert Laffont. Dès le deuxième jour du conclave de 1978, Karol Wojtyla «pressent le résultat». «S’ils t’élisent, je t’en prie, ne refuse pas», le supplie le cardinal Stefan Wyszyński. Le lendemain, Jean-Paul II est élu, sous un tonnerre d’applaudissements. C’est le premier pape non italien depuis quatre cent cinquante ans. Le primat de Pologne le félicite et prophétise : «Tu feras entrer l’Église dans le troisième millénaire.» / MASTER/SIPA
Le confesseur confessé
D’après de nombreux témoignages, rapportés par son biographe George Weigel, Jean-Paul II était un confesseur « fantastique ». L’amour du pape pour la confession fut une grâce reçue d’Ars, où le jeune prêtre, en 1947, un an après son ordination, était venu se recueillir dans l’église du saint Curé. Lui-même se confessait toutes les semaines, et avant les grandes fêtes (4).
(4) Jean-Paul II, témoin de l’Espérance, par George Weigel, Jean-Claude Lattès.
Un prêtre ami du théologien américain Scott Hahn se trouve à Rome pour une visite au Vatican, où il doit notamment rencontrer le pape Jean-Paul II. Sur le seuil de l’église où il est allé prier, il aperçoit un mendiant qui lui rappelle un confrère du séminaire, ordonné en même temps que lui. Le mendiant lui avoue qu’il a « fichu en l’air » son sacerdoce. Le cœur brisé, le prêtre se rend au Vatican pour l’audience. Abandonnant tout protocole, il tombe aux pieds de Jean-Paul II, lui parlant de son ami prêtre devenu vagabond, et lui demande conseil. Le pape l’invite à aller le chercher sur-le-champ pour qu’ils dînent ensemble. À la fin du repas, Jean-Paul II demande qu’on le laisse seul avec le mendiant à qui il dit : « Père, voulez-vous bien entendre ma confession ? » Interloqué, celui-ci bégaye qu’il n’est plus prêtre. Le pape réplique : « Un prêtre l’est pour l’Éternité. » Le mendiant objecte alors qu’un défroqué n’a plus le droit d’exercer son ministère. Le Saint-Père répond qu’il est pape et qu’il peut le rétablir immédiatement dans ses fonctions ! Alors il s’exécute et entend la confession de Jean-Paul II… Tout de suite après, il tombe à ses pieds, et en sanglotant, lui demande d’entendre à son tour sa propre confession. En prenant congé, le Saint-Père le désigne au service d’une paroisse, lui confiant un ministère spécial… auprès des mendiants (5).
(5)
« Quand une confession relève le confesseur »
, par Scott Hahn, famillechretienne.fr, le 13 septembre 2012.
Attentat le 13 mai 1981, place Saint-Pierre
Mgr Jacques Martin, préfet de la Maison pontificale, note dans son journal au 14mai 1981 : « Attentat contre le pape hier à l’audience générale. Stupeur dans le monde. Pronostic réservé pendant les huit premiers jours. Cinq heures et demie d’opération ! » Puis le 31mai : « Pour l’histoire : les seules paroles prononcées par le pape pendant son transport au Gemelli : “Je souffre beaucoup”, “Marie, ma mère”, “Jésus”… » On lui prêtait une phrase qu’il n’a pas prononcée : « Pourquoi m’ont-ils fait cela (6) ? »
(6) Mes six papes, par le cardinal Jacques Martin, Mame.
Lorsque Jean-Paul II a voulu rencontrer Ali Agça, l’homme qui avait tenté de le tuer, ce dernier n’a eu qu’une question à la bouche : « Pourquoi es-tu vivant ? » Son coup aurait dû être fatal, car, lors de l’attentat place Saint-Pierre ce 13mai 1981, à moins de trois mètres, il n’a pas manqué sa cible. « Je sais que j’ai visé juste et que la balle était puissante et mortelle. » Pour le pape, il ne faisait pas l’ombre d’un doute que la Vierge de Fatima était intervenue : « Une main a tiré, une autre a guidé la balle », ayant reconnu dans cet événement une partie non dévoilée du secret de Fatima. De sa chambre d’hôpital, le 17 mai 1981, Jean-Paul II avait assuré : « Je prie pour le frère qui m’a frappé, auquel j’ai sincèrement pardonné (7). »
(7)Jean-Paul II, par Bernard Lecomte, Gallimard.
Le pape exorciste
Le 27 mars 1982, Mgr Ottorino Pietro Alberti, archevêque de Spolète, est reçu en audience chez le pape. Il entend du dehors les cris d’une « possédée », une certaine Francesca Fabrizi, « qui se roulait par terre en hurlant, raconte le cardinal Martin. Le pape a prié, prononcé en vain des exorcismes. C’est quand il a dit à la fin à cette femme : “Je dirai la messe pour vous demain”, qu’elle est soudain redevenue normale et a présenté ses excuses. Le pape impressionné : “C’est la première fois que je rencontre un cas pareil : une vraie scène biblique !” » Moins d’un an après, elle se rend avec son mari place Saint-Pierre. Mgr Martin note : « Mercredi dernier, à l’audience, les époux Marco et Francesca Fabrizi, cette dernière entièrement libérée de la possession diabolique depuis son entretien de l’année dernière avec le pape. Parfaitement sereine et heureuse, elle attend un enfant (8). »
(8) Mes six papes, par le cardinal Jacques Martin, Mame.
Avec Michaël et Raïssa Gorbatchev
Jean-Paul II reçoit en visite officielle au Vatican le président de l’URSS, Michaël Gorbatchev, visite alors très contestée. Le photographe Arturo Mari raconte ce qui se passa après l’entrevue, dans la salle d’audience : « Raïssa Gorbatchev, la sectaire, l’incroyante, se présenta la tête non couverte [contrairement au protocole, Ndlr], arborant un tailleur rouge, plutôt provocateur ! L’épouse du Président aperçoit pour la première fois le Saint-Père. Dès le premier regard, elle se trouve totalement déstabilisée, ressentant un choc, même physiquement. » Plus tard, après la mort de sa femme, Gorbatchev revint au Vatican avec sa fille, Irina. Celle-ci fit au pape une confidence, sur cette première rencontre entre sa mère, Raïssa, et lui : « Elle eut alors une sorte d’illumination, comme un éclair, et une fois revenue à la maison, en Russie, elle s’est souvenue de votre regard et de votre charisme. À partir de ce moment-là, tous les matins, elle s’est mise à prier pour vous. » Et sortant un chapelet de son sac : « Oui, ce chapelet, Saint-Père, c’est le chapelet que vous avez donné dès la première fois à Maman. Elle a prié tous les jours avec ce chapelet. Maintenant, elle continue de prier pour vous (9) ! »
(9) Jean-Paul II, mon pape, par Arturo Mari et Bertrand Lemaire, Téqui.
Il y a 25 ans, Jean Paul II interpellait les catholiques de France Aux JMJ à Paris, 21 août 1997
Aude est l’une des soixante-dix délégués choisis pour accueillir Jean-Paul II à Paris, au Champ-de-Mars, où il s’apprête à rencontrer des milliers de jeunes. Il fait le tour du podium pour saluer tous les représentants. Aude raconte à notre confrère Luc Adrian : « J’aperçois sa main gauche qui tremble. Je n’ai pas hésité une seconde. Je vois cet homme qui souffre, cette main qui tremble, je me dis : “Prends-la !” Je la saisis de la main droite, puis comme elle continue à trembler, je la lui prends des deux mains. Les tremblements cessent alors. Je sens très bien qu’il me tient, qu’il me serre la main, qu’il s’accroche à moi. C’est pourquoi je ne l’ai pas lâché. J’ai envie de rester toute ma vie comme ça, à lui tenir la main… […] Puis le cardinal Lustiger m’a fait signe de lâcher prise. […] Autour de moi, tout le monde est hyper-jaloux, bien sûr. Mon mari, Nicolas, le premier ! […] Des amis l’ont appelé au bureau et lui ont dit : “Tu as vu ta femme ? – Ben non, pourquoi ? – Elle passe en ce moment à la télévision, et ça fait cinq minutes qu’elle tient la main du pape (10).” »
(10) Famille Chrétienne, n°1025, 4 septembre 1997. Le 21 août 1997, Jean-Paul II a rendez-vous avec la jeunesse à Paris, ici au Champ-de-Mars, puis à Longchamp. / GIANCARLO GIULIANI-CPP
Âgé et malade à la fin de sa vie
Jean-Paul II était atteint depuis de longues années de la maladie de Parkinson. Mgr Konrad Krajewski, l’un des cérémoniaires du pape, qui l’assistait dans les célébrations, raconte : « Je me sentais tellement indigne d’être proche de cet homme et de le servir, que dans les dernières années de son pontificat, avant chaque célébration, j’allais me confesser, même si nous avions deux ou trois célébrations par semaine […]. Je ressentais le besoin d’être parfaitement “lavé” lorsque je m’approchais du pape. Je voyais sa souffrance et ses difficultés dans chaque mouvement. Un jour, alors qu’il était malade, au cours d’une célébration sur le parvis de la basilique Saint-Pierre, en me penchant vers lui, je me permis de lui dire : “Votre Sainteté, puis-je faire quelque chose pour vous aider ? Peut-être quelque chose vous fait-il mal ?” Il m’a répondu : “Désormais, tout me fait mal, mais il faut qu’il en soit ainsi…” J’étais certain et profondément convaincu que j’assistais et que je touchais une personne sainte (11). »
(11) L’Osservatore Romano, 2 avril 2008.
EXTRAIT DE FAMILLE CHRETIENNE