Dans une longue déclaration, le cardinal Gerhard Müller, qui a été à la tête du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF) entre 2012 et 2017, démonte le document Fiducia supplicans et avertit les prêtres d’un risque de « blasphème » s’ils ocroient les bénédictions à des couples en situation irrégulière.
Dans une déclaration doctrinale approuvée par le pape François, le DDF ouvre la voie à la bénédiction de « couples en situation irrégulière et (de) couples de même sexe », à condition que cette bénédiction ne soit pas ritualisée et qu’elle n’imite pas le mariage chrétien qui reste entre un homme et une femme. Le texte n’entend pas légitimer les unions irrégulières aux yeux de l’Église mais proposer une « charité pastorale ».
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Pour le cardinal Müller, l’enseignement de Fiducia supplicans est « contradictoire » et il n’exprime pas simplement « une évolution » de la doctrine mais « un saut doctrinal », qui s’oppose à la dernière déclaration magistrale à ce sujet. En mars 2021, l’alors congrégation pour la Doctrine de la foi avait publié une note qui rejetait catégoriquement la possibilité de bénir les unions de même sexe.
Le théologien allemand, connu pour ses vives critiques à l’encontre du pape, estime que ce qu’il appelle la « bénédiction pastorale innovante » est « créée ad hoc pour bénir des situations contraires à la loi ou à l’esprit de l’Évangile ». En effet, note-t-il, ce ne sont plus « les personnes pécheresses » qui sont bénies, mais « en bénissant le couple, c’est la relation pécheresse elle-même qui est bénie ».
Et le cardinal Müller de souligner que « selon le critère de ce type de bénédictions, on pourrait même bénir une clinique d’avortement ou un groupe mafieux ». Il est « hasardeux d’inventer de nouveaux termes », prévient le prélat, qui conclut, péremptoire, que le prêtre qui donnerait ce type de bénédiction commettrait **
« un acte sacrilège et blasphématoire »
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En
Afrique, des évêques protestent
Si la déclaration de Rome a été saluée notamment par les conférences épiscopales d’Allemagne et de Suisse, il n’en est pas de même dans d’autres pays, qui ont manifesté leurs réserves, voire leur opposition frontale à la décision du pontife argentin. Des évêques africains notamment, dont certains se trouvent en porte-à-faux par rapport aux lois de leur pays, déplorent une « confusion » et annoncent qu’ils ne mettront pas en pratique ces bénédictions.
Le 20 décembre, les 11 évêques de Zambie émettaient ainsi un communiqué de trois pages signé à l’unanimité, s’inquiétant des « confusions et craintes » soulevées par ce document parmi les fidèles. Fiducia supplicans « ne doit pas être comprise comme une approbation des unions de personnes de même sexe », affirment-ils, rappelant aussi les termes du Catéchisme de l’Église catholique, qui qualifie les actes homosexuels d’ « intrinsèquement désordonnés ».
Afin d’éviter « toute ambiguïté pastorale », en se prévalant de la loi du pays qui interdit les unions et les relations entre personnes de même sexe, ainsi que de leur « héritage culturel », les évêques préviennent qu’ils utiliseront Fiducia supplicans pour « une réflexion plus approfondie » et non pas pour être « appliquée ».
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Dieu peut-il bénir un couple de même sexe en tant que tel ?**
De même, les évêques catholiques du Malawi ont interdit la mise en œuvre de la déclaration, mettant en garde contre « certaines interprétations erronées » et notant « des inquiétudes parmi les catholiques et les personnes qui attendent de l’Église catholique une orientation morale, spirituelle et doctrinale ».
« Nous demandons que, pour des raisons pastorales, les bénédictions de toute nature et les unions entre personnes de même sexe ne soient pas autorisées au Malawi », déclarent les membres de la Conférence épiscopale de ce pays d’Afrique du sud-est.
Au Nigeria, les évêques ont également diffusé une note pour « clarifier » le contenu de Fiducia supplicans. Ils avertissent qu’il n’existe « aucune possibilité dans l’Église de bénir des unions entre personnes de même sexe », car « cela irait contre la loi de Dieu, les enseignements de l’Église, les lois de notre nation et les sensibilités culturelles de notre peuple ». Sans toutefois proscrire les bénédictions, ils demandent aux prêtres nigérians de « ne rien faire qui détournerait de la sacralité du sacrement » de mariage entre un homme et une femme.
Des réticences frontales en Asie et en Europe
L’archevêque d’Astana, la capitale du Kazakhstan – que le pape François a visitée en septembre 2022 –, Mgr Tomash Peta, et son auxiliaire Mgr Athanasius Schneider, ont réagi dès le 19 décembre, taclant « la grande tromperie et le mal qui résident dans l’autorisation même de bénir des couples en situation irrégulière et des couples de même sexe ». Sans mâcher leurs mots, ils voient la bénédiction de couples en situation irrégulière comme « un grave abus du très saint nom de Dieu » et une contradiction de la doctrine bimillénaire de l’Église catholique.
Les chefs de ce diocèse d’Asie centrale interdisent explicitement aux prêtres et aux fidèles « d’accepter ou d’effectuer toute forme de bénédiction de couples en situation irrégulière et de couples de même sexe ». Et ils demandent au pape François « de révoquer (cette) permission ».
Des réserves se font entendre également en Europe. Dans un communiqué publié sur Twitter, la Confraternité britannique du clergé catholique, qui regroupe plus de 500 prêtres et diacres d’Angleterre, d’Écosse et du Pays de Galles, déplorent eux aussi « la confusion » qui s’est créée, précisant que les relations homosexuelles ne peuvent être « en aucun cas » approuvées.
S’ils notent « le noble désir pastoral » du document, ils soulignent cependant que les bénédictions comporteraient toujours « un degré d’approbation » des unions irrégulières et mèneraient au « scandale ». Et de conclure que « ces bénédictions sont théologiquement, pastoralement et pratiquement inadmissibles ».
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Le refus des évêques est envisageable dans l’Église**
À Rome, la déclaration doctrinale et les réactions suscitées par sa réception dans le monde sèment le trouble. Certains au Vatican n’hésitent pas à parler de « confusion ». Mais pour un expert romain consulté par I.MEDIA, ces remontées de terrain sont « saines » et ne sont pas incompatibles avec la culture juridique de l’Église. « Les épiscopats peuvent recevoir une orientation et décider si elle est applicable ou non dans leur territoire », explique ce canoniste, qui souligne que « l’Église catholique ne peut pas faire l’économie » d’une telle possibilité, en raison de la diversité des situations locales.
La non-application d’une loi universelle dans un diocèse particulier n’est pas une nouveauté selon lui. Dans l’histoire ancienne, les évêques pouvaient envoyer à l’évêque de Rome une “reprobatio”, l’avertissant que sa loi ne promouvait pas le bien commun dans leur diocèse. Il est arrivé dans l’histoire récente que des épiscopats prennent de la distance par rapport à un texte venant de Rome, à l’instar des évêques belges lors de la publication de l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI (1968) sur le mariage et la régulation des naissances. Ces derniers avaient alors ouvert pour certains catholiques la possibilité de suivre leur conviction.
De même, ajoute le canoniste, la possibilité pour les évêques de décider pour leur diocèse est en ligne avec la « décentralisation » prêchée par François depuis 10 ans. « La Curie romaine ne peut pas se mettre à la place des Églises particulières qui connaissent le mieux la situation pastorale, comme l’affirme Evangeli gaudium ».
En revanche, le fait que Fiducia supplicans s’adresse aux pasteurs et non pas aux évêques pourrait causer problème, glisse l’expert. « Le pape s’adresse directement aux curés ; et ceux-ci pourraient être gênés, pris dans une contradiction entre le chef de l’Église catholique et leur évêque, qui leur retire leur fonction de discernement pour le bien des personnes ».
La Rédaction de Famille Chrétienne (avec l'Agence I.Media)